Un peu clodo, un peu poète
Fumeur de joint à l’occasion
Il a des rêves plein la tête
Il en fait même des chansons.
Il se les joue sur sa guitare
Pour trois ou quatre spectateurs
Ça met l’ambiance à son trottoir
Et ça lui réchauffe le cœur.
Sans domicile, sans adresse
Sait-il seulement d’où il vient
C’est son chien qui le tient en laisse
Les mauvais jours de mauvais vin.
Et s’il regarde sa sébile
Sans y trouver de pièces d’or
C’est que les passants se défilent
En ignorant tout de son sort.
Il fait partie du paysage
Comme statue qu’on ne voit pas
Comme escale dans un voyage
Où pressé on s’arrête pas.
C’est devenu une habitude
Ces gens qui ne lui sourient plus
Enveloppés de certitudes
Sur ceux-là qui se sont perdus.
Ces bons à rien, traîne-misère
Trop paresseux pour travailler
Faudrait en remplir les galères
Pour les apprendre à mieux ramer.
Quand on vit dans un autre monde
Pas facile d’être quelqu’un
La vie cette infernale ronde
Pour tous n’a pas même parfum
Je ne sais qui est il je ne sais qui est elle
Elle se fait garçon, il se maquille un peu
Les deux genres souvent se fondent pêle-mêle
A confondre parfois le rose avec le bleu.
Chacun reconnaîtra en terme de caresses
Ce qui siéra le mieux à ses tendres desseins
Elle se pâmera au ferme des ses fesses
Et lui appréciera le galbe de ses seins.
S’il advient que deux il fassent même ménage
Que deux elle soudain ne forment qu’un seul cœur
C’est que l’amour se fout de ces vagabondages
Et que quoi qu’on en dise il est toujours vainqueur.
La règle des accords n’a plus grande importance
Le bonheur est le seul qui doit dicter sa loi
Bien sûr me concernant « elle » a la préférence
C’est un choix qu’aujourd’hui je ne regrette pas.
J’ai vague souvenir des leçons de grammaire
Des pronoms personnels que l’on différenciait
Aujourd’hui chacun sait, ce n’est plus un mystère
Q’ils peuvent joliment toujours se marier.
Il n’a pour tout château qu’un abri de misère
Il n’a pas pour seuls amis que la pluie et le vent
Il vit toute sa vie comme un raid solitaire
Les trottoirs et la rue en guise d'océan.
Sans doute aurait-il pu choisir une autre route
Devenir fonctionnaire ou toubib ou curé
Etre en toute occasion celui que l’on écoute
Photo dans le journal joliment cravaté.
Il aurait fréquenté grands hôtels et palaces
Courbettes, baisemains entre autres passeports
Vécu quelques amours superbes mais fugaces
Marin désabusé courant de port en port.
Il aurait fait un nom de son nom de naissance
En profitant de ceux nés tout juste avant lui
Nous dirons simplement qu’il n’a pas eu la chance
Celle qu’il faut saisir quand elle vous sourit.
Peut-être est-il heureux de se savoir si libre
Et de seul décider de tel ou tel chemin
D’être ainsi sur un fil souvent en équilibre
Avec le ciel toujours à portée de sa main.
Il n’a pour tout château qu’un abri de misère
Il n’a pas pour seuls amis que la pluie et le vent
Il vit toute sa vie comme un raid solitaire
Les trottoirs et la rue comme vaste océan.
Si tu m’avais aimé comme je t’aime encore
Tous deux nous aurions pu écrire un beau roman
Fait de dix mille nuits, fait de dix mille aurores
Et de jardins plus beaux que tous ceux d’Ispahan.
Les obstacles dressés sur le bord de nos routes
En se tenant la main nous les aurions vaincus
Sans laisser une place à la peur et au doute
Ces gouffres dans lesquels beaucoup ont disparu.
Nous aurions ri du temps qui fait faner les roses
Sans se soucier jamais des rides à nos fronts
Et puis comme l’oiseau sur l’arbre qui se pose
Nous aurions sans faiblir composé des chansons.
Nous aurions navigué vers des terres lointaines
Sur un beau voilier blanc bâti juste pour nous
Avec un grand drapeau sur le mat de misaine
Aux couleurs de l’amour qui se moque de tout.
Sans doute ce roman j’étais seul à y croire
Il s’est arrêté là, ouvrage inachevé
Le mot fin est tombé sur un coin d’écritoire
Quand tu n’as pas voulu du chapitre dernier.
Ca n’est pas grave au fond l’histoire est toujours belle
Même si quelquefois elle embrume mes yeux
Certes j’aurais aimé qu’elle soit éternelle
Mais la vie ne fait pas toujours ce que l’on veut.
La terre peut craquer et le mal se répandre
Au printemps les oiseaux reprennent leurs concerts
J’aime les regarder et j’aime les entendre
Annoncer en chansons que s’achève l’hiver.
Ils savent s’enivrer de la saison nouvelle
Et laissent les humains en habits de noirceur
S’entasser en troupeaux dans les rues, les ruelles
Pour tenter d’oublier qu’ils auront toujours peur.
Ils bâtissent des nids superbes et fragiles
Pour accueillir la vie qui reviendra bientôt
Entre les murs noircis des villages, des villes
La mort hante toujours aux lits des hôpitaux.
Les oiseaux quelquefois on croirait qu’ils rigolent
A nous voir trop sérieux s’inquiéter de demain
Ils ne connaissent rien de nos courses trop folles
De nos nuits sans sommeil à guetter le matin.
Ils s’en iront un jour c’est chose inévitable
Qui sait si quelque part ils ont un paradis
Nous implorons les dieux et redoutons le diable
Mais doit-on pour autant en oublier qu’on vit.
Surtout ne réponds pas quand je te dis je t’aime
J’ai trop peur de savoir que tu ne m’aimes pas
J’ai bien tenté un jour d’en écrire un poème
Tu n’as su que sourire et te moquer de moi
Tu me l’as répété, l’amour ça se mérite
Ce n’est pas un diamant que l’on peut acheter
Peut-être une chanson élégamment écrite
Mais que le temps cruel se permet d’effacer.
Me voilà donc contraint désormais à me taire
Comme un enfant puni que l’on envoie au coin
Qui demande pardon dans trop savoir quoi faire
Pour être libéré de ce poids qui l’étreint.
Que ne suis-je Ronsard ou quelque autre poète
Pour trouver tous ces mots qui ravagent le cœur
Que ne suis-je un ténor pour chanter à tue-tête
Ces couplets enflammés où l’amour est vainqueur.
Je dois me contenter de rêves impossibles
Ceux que l’on fait parfois qui rassurent un peu
J’y deviens un héros intrépide invincible
Me reconnaîtrais-tu en pareil amoureux.
Parce que j’aimerais voir encore un printemps
Te prendre dans mes bras te redire je t’aime
Parce que j’ai trop mal d’attendre vainement
Je m’en remets parfois au pouvoir des poèmes.
Tu ne les liras pas mais d’autres le feront
D’autres qui ont pleuré comme aujourd’hui je pleure
Et ceux-là souriront, et ceux-là- comprendront
Combien les souvenirs dans les têtes demeurent.
Ils verront défiler sur l’écran de leurs nuits
Mille histoires passées, mille joies, mille peines
De celles qu’on voudrait engouffrées dans l’oubli
Qui reviennent toujours comme autant de rengaines.
Ces billets échangés dans la cour en tremblant
En craignant d’être vu par le maître d’école
Tous ces mots merveilleux qui se voulaient serments
Partis on ne sait où comme oiseaux qui s’envolent.
Ces promesses données et puis ces anneaux d’or
Devant l’autel fleuri d’une petite église
Les jours qui s’annonçaient devaient être trésors
Mais la vie a tranché, à jamais insoumise.
Alors sans y penser errant dans mes quatrains
Ils y découvriront un peu de leur histoire
Même si quelquefois ils en changent la fin
A chacun son chemin, à chacun sa mémoire.
Parce que j’aimerais voir encore un printemps
Te prendre dans mes bras te redire je t’aime
Parce que j’ai trop mal d’attendre vainement
Je m’en remets parfois au pouvoir des poèmes.
Faut bien trouver un port quand la vague est mauvaise
Quelque abri de fortune à l’écart des grands vents
On voit de là la mer qui ronge les falaises
Comme nous sommes tous dévorés par le temps.
Mouettes et goélands étendent leurs voilures
Pareils à l’albatros qu’un poète a chanté
Ils se moquent du temps, des climats, des froidures
Vers le grand océan tournés à tout jamais.
Ils pourraient s’ils voulaient en cinq ou six coups d’ailes
Atteindre le grand large où l’horizon se perd
Se fondre dans les cieux et dire qu’elle est belle
A la moindre sirène aux parfums d’outre mer.
Ils pourraient s’en aller cueillir quelques étoiles
Ou sur la voie lactée même bâtir un nid
Dans un monde inconnu au moins faire une escale
Pour, pleins de souvenirs retourner au pays
Mais de faire comme eux, ça ne reste qu’un rêve
Celui-là que l’on fait du fond de sa prison
Quand on n’a plus d’issue et que la nuit s’achève
Sans qu’on ait découvert un moyen d’évasion.
Faut bien trouver un port quand la vague est mauvaise
Quelque abri de fortune à l’écart des grands vents
De là on voit la mer qui ronge les falaises
Comme nous sommes tous dévorés par le temps.
Qu'elle est dure vraiment cette guerre qu’on mène
Face à un ennemi que l’on ne connaît pas
Qui nous tient prisonniers de masques et de chaînes
A toujours espérer la fin de ce combat.
On a beaucoup parlé, on a fourbi les armes
Mais que peut un couteau face aux tirs des canons
Pareil à un voleur qui se joue des gendarmes
Le monstre a poursuivi sa mortelle ascension.
Faut-il se résigner ou poursuivre la lutte
Brandir un drapeau blanc ou accepter la mort
Société du confort rude sera ta chute
Si plus puissant que toi décide de ton sort.
Moi je suis tout d’espoir affirme le poète
La science aura raison jure le médecin
Le triomphe est tout près croyez-moi tout s’achète
Affirme le banquier en se frottant les mains.
Qui donc aura raison, nul ne saurait le dire
Le printemps qui s’en vient nous propose ses fleurs
Le soleil qui s’en fout ne cesse de reluire
Mais, quand reviendra-t-il ce putain de bonheur.
Il mettait son plus bel habit
Celui que l’on met le dimanche
Cravate en soie, soulier vernis
Fier comme un merle sur sa branche.
Il y a longtemps bien longtemps
C’était avant la grande guerre
C’est fou comme ça court le temps
Entre grands bonheurs et galères.
Il savait rire, s’amuser
De presque rien de pas grand-chose
Pas de radio, pas de télé
Mais l’art de cultiver les roses.
Il pensait parfois à la mort
La savait mal inévitable
Sans jamais maudire le sort
Qui lui ferait quitter la table.
Il eut ses histoires d’amour
Celle qu’on vit à la campagne
Sans tralalas, sans grand discours
Et sans en faire des montagnes.
Et puis un jour de temps trop froid
Il se sauva sans dire un mot
Pour vivre à l’ombre d’une croix
Entre deux cyprès le repos
Mais c’est vrai qu'au mur du salon
Son portrait a bien belle allure
D’avoir tracé tant de sillons
N’a pas trop marqué sa figure.