Mon père travaillait tout comme mon grand-père
Sans attendre du ciel un quelconque secours
Attachés à leurs champs et liés à leur terre
Du lever du soleil à la tombée du jour.
Ils avaient des chevaux qui ruisselaient d’écume
Plus tard quelques tracteurs aux moteurs vrombissants
Réparaient les charrues sur le fer de l’enclume
Et confiaient les sabots au maréchal ferrant.
Des caprices du temps ils avaient l’habitude
Essuyaient sans gémir l’orage et ses grêlons
Les gelées de printemps et les hivers trop rudes
Qui mettaient en péril vendanges et moissons.
Le dimanche ils mangeaient le gigot en famille
La grand-mère veillait sur le repas des siens
S’asseyait rarement debout telle une quille
Qu’on aurait planté là comme un arbre au jardin.
La maison frémissait ma mère en était l’âme
Surveillait la couvée sans le moindre repos
Nous vécûmes ainsi entre rires et larmes
Sans jamais être riche en ayant ce qu’il faut.
Je ne sais trop pourquoi c’est sur une autre route
Que j’ai marché depuis mais sans rien oublier
Ces moments du passé s’écoulent goutte à goutte
La vie n’est rien au fond qu’un vaste sablier.
Ca devait arriver ma poésie déprime
Elle ne sait plus trop comment mener ses vers
Souffre de trop de pieds et malmène ses rimes
Va falloir la soigner ou me la mettre au vert.
Elle allait bien pourtant elle était souriante
Quel virus de passage a bien pu la blesser
Je la sens à présent tellement différente.
Incapable d’agir incapable d’aimer
Je fais ce que je peux je prie je me démène
Un crayon un clavier à portée de la main
J’en appelle à Hugo, j’en appelle à Verlaine
Qui sont pour ce qu’elle a d’excellents médecins.
Elle elle reste là face au mal qui la gagne
On parle d’un vaccin qui pourrait la guérir
Un dont on dit qu’il peut soulever des montagnes
Mais ils sont si nombreux que je ne sais choisir.
S’il faut une piqûre au coin de l’hémistiche
Qu’on la fasse de suite et sans plus de façons
Il est venu le temps de ne pas être chiche
Et il faut à tout prix qu’elle entende raison.
Demain je veux la voir se remettre à la danse
Sur des alexandrins improviser des pas
Elle retrouvera je le sais la cadence
Serait-ce une illusion, elle va mieux déjà.
J’ai trop de souvenirs dont je ne sais que faire
Lentement amassés ils ne servent à rien
Médailles récoltées lors d’inutiles guerres
Amours désenchantées ou laissées en chemin.
C’est fou dans une vie les choses que l’on glane
Dont on ne peut savoir ce qu ’elles deviendront
Dans le livre du temps quelques fleurs qui se fanent
Sans que l’on n’ait jamais pu leur donner un nom.
Alors, faute de mieux on les appelle enfance
Moments de joie furtifs ou regrets quelquefois
Un peu de nostalgie et les voilà qui dansent
Se rappellent à nous et emboîtent nos pas.
J’ai tant de souvenirs souvent je les partage
Ils peuplent des chansons fleurissent des quatrains
Immobiles longtemps ils se font de voyage
Aux notes d’un piano aux doigts d’un musicien.
Chaque saison qui passe en agrandit le nombre
Aujourd’hui est toujours condamné à mourir
Eux résistent à tout sur ce bateau qui sombre
Sans doute ont-ils choisi de ne jamais partir.
Elle habite un studio dans l’immeuble d’en face
Chaque jour depuis peu le matin je la vois
Comment ne rien oser, comment rester de glace
Quand en bas de la rue elle fait quelques pas.
Quel dieu a donc voulu qu’elle soit ma voisine
Moi qui n’attendais rien de ce quartier maudit
Sans café, sans restau, sans même une vitrine
Le fracas des moteurs pour tromper son ennui.
Restera-t-elle ici ou vite fuira-t-elle
Comme font les oiseaux quand ils craignent l’hiver
L’hiver on le sait bien sied mal à l’hirondelle
Qui pour voir le soleil traversera les mers.
Et je resterai là à rêver imbécile
De ses cheveux dorés, des son corsage blanc
Les choses de l’amour ne sont jamais faciles
Quand on n’a pas les mots ou que trop on attend.
C’est ainsi que j’ai eu des milliers d’aventures
Des seulement rêvées dont j’étais le héros
Lé héros malheureux resté dans la froidure
Quand son corps et son cœur voulaient tant avoir chaud.
Qu’importe dès demain et depuis ma fenêtre
Je l’accompagnerai, je lui tiendrai la main
Elle ne dira rien, me sourira peut-être
Doux moment d’illusion pour un bout de chemin.
J’ai essayé cent fois, cent fois je suis tombé
Les marches de la vie sont parfois difficiles
Chaos sur le chemin et froid sur le pavé
Et sentiment parfois de n’être pas utile.
Je suis tombé cent fois mais une main cent fois
A bien voulu venir et puis saisir la mienne
De quoi garder l’espoir, de quoi garder la foi
Le soleil luit toujours à travers les persiennes.
J’en ai pris des bateaux, j’en ai connu des ports
Des coups de mauvais vent pour atteindre le large
J’ai prié tous les dieux, j’ai vu passer la mort
Mais j’ai pourtant choisi de rester dans la marge.
Ils ne m’ont pas compris les donneurs de leçons
Pour vivre il faut dit-on des dollars, des domaines
De ce vaste troupeau devenir un mouton
Ne jamais essayer de défaire ses chaînes.
Moi je voulais voler être comme l’oiseau
Improviser des nids aller de branche en branche
Voir l’écume briller sur le dos des chevaux
Etre heureux tous les jours y compris le dimanche.
Si vous passez par là que vous vouliez me voir
Surtout n’hésitez pas vous serez bien reçu
J’ai bâti mon palais sur un bout de trottoir
Entre la cathédrale et le bar PMU.
Ce n’est pas que vraiment je manque de courage
Mais c’est que trop souvent le travail me fait peur
Je veux bien mettre ça sur les effets de l’âge
Mais l’affirmer ainsi serait être menteur.
Je ne sais qui un jour a inventé ces tâches
Qui nous volent le temps, nous ruine la santé
A les voir arriver quitte à paraître lâche
En douce je m’esquive et part me reposer.
Après tout des vivants qui peuplent notre terre
L’humain est bien le seul à se mettre au boulot
Le renard reste assis peinard dans sa tanière
Le héron se complait à se mirer dans l’eau.
Le chien sans se lever guette la caravane
Le poisson désoeuvré fait le tour du bocal
Le lion pique un somme et la hyène ricane
Moi de faire comme eux je me donne l’aval.
Oui mais me direz-vous comment fais-tu pour vivre
Et le pain quotidien qui le pétrit pour toi
Cette conversation je ne veux la poursuivre
Car le fait d’y penser me fatigue déjà.
Amis restons-en là pourquoi prendre des risques
Qui sait faire un malaise ou même pire encor
Foin de tout mouvement de toute gymnastique
Le travail est d’argent mais la paresse est d’or.
Se lever tôt mais quelle erreur
Obligé d’interrompre un rêve
D’abandonner femmes ou fleurs
Avant que le jour ne se lève.
Quitter une île où tout est beau
Repartir au gré de la vague
Finis les sambas de Rio
Ou le ciel bleu de la Madrague.
Se lever tôt c’est malvenu
Injure au Dieu de la paresse
Celui-là que l’on ne prie plus
Au nom dit-on de la sagesse.
On lui préfère des gourous
Qui prônent l’effort le courage
Bosser jusqu’à devenir fou
Sans de la nuit fouler les plages.
Se lever tôt c’est se priver
De ce qui restait de magique
De ce voyage commencé
Sur des continents utopiques.
Suivez dons mes sages conseils
Ne vous réveillez pas si vite
Attendez donc que soleil
Bien gentiment vous y invite.
Et si vous pensez que je mens
Que je me lève avant l’aurore
Dites-vous bien qu’en le disant
Bien qu’éveillé je rêve encore.
Assieds-toi là, prends un café
Et dis-moi le secret des choses
Pourquoi l’on meurt pourquoi l’on naît
Pourquoi du bleu pourquoi du rose.
Dis moi le sel des océans
Les marées rongeant les falaises
Les quarantièmes rugissants
Tous ces grands vents que rien n’apaise.
Dis-moi le frêle papillon
Qui n’a que quelques jours à vivre
Et ces grands oiseaux qui s’en vont
Quand l’arbre tremble sous le givre.
Dis-moi les ruisseaux qui s’égarent
Et ceux qui glissent dans la mer
Et ces neiges devenues rares
Faute d’un redoutable hiver.
Dis-moi les hommes en chemin
Qui fuient le gris de l’existence
Ceux-là qu’on découvre matin
Sus un trottoir de déshérence.
Dis-moi ce qui naît de l’amour
Et ce que déchire la haine
Dis-moi la nuit chassant le jour
Quand la colère se déchaîne.
Assieds-toi là, prends un café
Et dis-moi le secret des choses
Pourquoi l’on meurt pourquoi l’on naît
Pourquoi du bleu pourquoi du rose.
Découvert ce matin au fond d’une poubelle
Elle est rude la vie pour un pantin de bois
Abandonné de tous privé de ses ficelles
Condamné à mourir au milieu des gravats.
Se souvient-il encor de ses heures de gloire
Quand les enfants pour lui inventait mille tours
Aurait-il conservé dans un coin de mémoire
La poupée de chiffon qui fut son seul amour.
Il est vrai que tous deux ne se ressemblaient guère
Lui désarticulé elle toute en douceurs
Mais nul n’a jamais su percer ce grand mystère
D’un cœur qui brusquement bat pour un autre cœur.
Quand ils se retrouvaient rangés dans une malle
Ils se disaient ces mots qu’on prononce en secret
Même qu’ils s’inventaient comme nous des étoiles
Et des ciels merveilleux où pouvoir s’évader
Mais les jouets souvent souffrent de ces caprices
Qui décident leur mort, qui les jettent au feu
Immolés sur l’autel, offerts en sacrifice
Pour après tant d’années être jugés trop vieux.
Découvert ce matin au fond d’une poubelle
Elle est rude la vie pour un pantin de bois
Abandonné de tous privé de ses ficelles
Condamné à mourir au milieu des gravats.
Je me le dis parfois, je n’ai pas eu de chance
J’aurais pu naître idiot, ne me soucier de rien
J’aurais pu naître fou pardonné par avance
Si j’étais devenu un parfait assassin.
J’aurais pu naître riche et claquer ma fortune
Au nez des braves gens sans leur laisser un sou
Toutes les conquérir, les blondes et les brunes
Et pour les retenir les couvrir de bijoux.
J’aurais pu naître oiseau, aller de branche en branche
Vivre de l’air du temps et survoler les mers
Marquer de quelque pas la neige toute blanche
Puis vite m’échapper pour oublier l’hiver.
J’aurais pu naître grand et dominer le monde
Le savoir à mes pieds, ne jamais avoir peur
Ni des dieux malfaisants, ni des bêtes immondes
Qui pourrissent le vie, qui dévorent les cœurs.
Mais voilà je suis né sans que l’on me remarque
En parfait anonyme, en modèle standard
Déposé par la vie dans le fond d’une barque
Echouée un matin par le fruit du hasard.