Vous ne me croirez pas mais il y a deux ou trois nuits j’ai rencontré le Petit Prince. Oui, vous avez bien lu, le Petit Prince, celui de Saint Ex, venu tout exprès pour moi entre ces insomnies qui me sont coutumières. Un Petit Prince tout de blanc vêtu, nimbé de cette lueur qui n’appartient qu’aux astres et qui profite de la nuit pour éclairer le monde.
Au début je n’y ai guère prêté attention, je me suis dit que ce n’était qu’une ombre, une vapeur d’alcool qui sait, ou quelque bon génie expédié par Morphée ou l’un des ses acolytes. Il faut vous dire que les fantômes, j’y crois un peu quand même.
Je me suis tourné, retourné, tourné encore ; j’ai voulu le chasser comme on chasse un peu de givre sur une vitre au matin. Mais il est resté là, oiseau tombé du nid cherchant une place dans le mousse de mes draps.
Il m’a souri, de ce sourire qui perce les ténèbres, de ce regard pareil à une comète qui se rapprocherait, se rapprocherait et finirait par tomber dans vos bras.
Alors, gêné, moi j’ai souri aussi.. Ca l’a rassuré je crois ; depuis le temps qu’il n’avait pas rencontré quelqu’un. Et voilà que ça tombait sur moi.
Et là, oui je vous le jure, il m’a juste dit « Dessine-moi un mouton ! »
« Oh non, ça ne va pas recommencer, déjà une fois … »
Je n’ai pas eu le temps de finir, « Dessine-moi un mouton :!»
« Tu sais les moutons, en dessin, c’est pas mon fort, je ne saurai jamais » »

Mais on ne résiste pas longtemps au Petit Prince. Alors sur un bout de ciel entre deux nuages, je me suis mis a dessiner.
Lui restait là penché sur mon épaule comme un professeur sur son élève, une mère sur son enfant dont elle attend tant de merveilles.
De merveilles il n’y en eu point et quand je tendis ma feuille je vis bien que quelque chose n’allait pas, que mon mouton n’avait pas fière allure. Sans doute un vilain petit canard à quatre pattes. Je n’ai jamais su dessiner les moutons ; les canards non plus d’ailleurs.
« Mais c’est un loup que je vois là ! »
Un loup, oui, j’avais dessiné un loup, un loup qui occupait toute la page jusqu’à bousculer les nuages.
« C’est un loup, c’est vrai. Tu sais, les moutons on n’en voit plus guère par ici depuis que les loups ont gagné peu à peu en bravant les frimas de l’hiver, les rudesses de l’été et même les fusils des hommes »
J’ai senti qu’il ne comprenait pas.
Plus de sourire, il s’est tourné et je l’ai vu s’enfuir sur un rayon de lune, jusqu’à n’être plus qu’un petit point là-bas dans le monde des étoiles.
Depuis cette nuit-là j’attends qu’il revienne, j’attends que les loups redeviennent des moutons.et que le rêve passe entre deux insomnies.